L’ÉTOILE D’ARGENT
Tout le monde était abasourdi, car le prophète, debout sur le rocher, avait proclamé : « Entre les omoplates d’une femme est cachée une étoile d’argent. Celui qui la libère, libère le monde ».
Dès lors, plus aucune femme n’osa sortir de chez elle. Et les hommes ne tombèrent plus amoureux. Tout le monde avait peur et personne ne pouvait savoir à quoi pensait l’autre. Cela dura longtemps, jusqu’à ce que l’éclipse de soleil fit sa première victime. Une pauvre femme, voulant observer la disparition du soleil, profita de la nuit pour sortir de chez elle, mais aussitôt un homme se précipita sur elle et la prit par les cheveux. Ensuite, les autres la conduisirent sans la moindre hésitation vers le lieu du sacrifice. Le bourreau, avec sa hache, brisa le dos de la jeune femme en deux, mais il n’y eut ni étoile, ni sang. Seule une goutte d’eau tomba dans le pot de bronze sur lequel tout le monde se pencha pour voir. Le prophète s’écria : « Il y a encore des milliers de femmes ; sans doute l’étoile est-elle cachée entre les omoplates de l’une d’elles. Cette femme et toutes les autres sont la cause de la sécheresse. Il faut les sacrifier toutes jusqu’à ce qu’on trouve l’étoile afin que les gouttes de pluie retombent à nouveau sur terre. Une fois l’étoile trouvée, nous pourrons cesser de les tuer ». Puis il prit le pot et renversa la goutte d’eau sur le sol. Le sol absorba la goutte, quant au corps de la jeune femme, il resta sur les lieux et servit de nourriture aux vautours.
L’éclipse dura une semaine entière. La sécheresse faisait des ravages. Plusieurs hommes devinrent fous et tuèrent leurs femmes, mais ils ne trouvèrent pas l’étoile. Seules quelques gouttes d’eau coulèrent sur le sol. Les femmes, effrayées, mouraient d’épouvante dans leurs maisons ou se faisaient tuer par leurs frères, maris ou fils.
Les hommes étaient agités, car ils essayaient de moins faire l’amour avec leurs femmes. Puis les étoiles filantes commencèrent à tomber. D’abord deux ou trois, mais peu à peu ce furent plus de 80 à 100 étoiles qui tombaient sur la terre. Ce n’était plus une vie. Les hommes prirent l’ultime décision : il fallait tuer toutes les femmes. Mais un jeune homme s’écria : « Et l’avenir, alors ? Il n’y aura plus de femmes pour enfanter ».
Les vieux réfléchirent et décidèrent de prendre le risque de n’en garder qu’une seule, et choisirent la plus belle. La tuerie commença. Ils creusèrent un grand fossé pour y recueillir les gouttes d’eau. Mais à la fin de la tuerie, le fossé fut à peine rempli à moitié et ils n’avaient toujours pas trouvé l’étoile. Près du rocher, le prophète s’exclama : « Il n’y a plus de doute, l’étoile doit être cachée entre les omoplates de cette femme; il faut la tuer ! ».
Les hommes, furieux, criaient qu’ils ne voulaient plus de sacrifice, car il ne resterait plus de femmes. Le prophète fut tellement excédé qu’il commença à trembler et s’assit au pied du rocher. Puis il ordonna qu’on le soulève et qu’on l’emmène sur le rocher, afin que tout le monde puisse l’entendre. De là-haut, il déclara d’une voix altérée : « Beaucoup de gens se sont détournés de leur prophète et ils sont devenus néant. Vous serez maudits ». Ensuite, toute force le quitta et il tomba à terre. Il demanda qu’on pose une natte à côté du fossé et qu’on le couche dessus. Son temps était venu.
Quelques jours plus tard le prêtre mourait, mais avant de mourir, avec le peu de force qui lui restait, il désigna les grands arbres de l’autre côté de la vallée. Quelques temps plus tard, les hommes prirent leur décision. Le plus beau et le plus vaillant des hommes fut choisi pour coucher avec la jeune femme. La nuit de leur union aucune étoile filante ne tomba et tout le monde trouva que c’était de bon augure. Mais les nuits suivantes les étoiles recommencèrent à tomber. Quarante jours s’écoulèrent, mais la femme n’était toujours pas enceinte. Cette fois, un homme d’âge moyen, qui avait déjà eu deux enfants, fut choisi. Pendant ce temps–là, le cadavre du prophète avait été dévoré par les vautours et il n’en restait que quelques ossements. Plusieurs hommes robustes montaient la garde autour du fossé et des os.
Quarante autres jours passèrent, mais la jeune femme n’était toujours pas enceinte. Il n’y avait plus de doute ; elle était stérile. Certains disaient alors qu’il fallait la tuer afin de se débarrasser de la malédiction du prophète et peut-être même trouver l’étoile, mais d’autres disaient qu’on devait la garder vivante dans l’espoir d’une solution. Et d’autres encore disaient que le prophète, en montrant les arbres au dernier moment, voulait dire par ce geste qu’il fallait s’accoupler avec les arbres. À cet instant, la jeune femme sortit d’une chambre dont toutes les fenêtres étaient cassées et les rideaux de soie déchirés. Elle se fraya un chemin parmi les hommes et se dirigea vers le fossé. Elle enleva sa robe et s’enfonça dans l’eau. Tout le monde resta silencieux et regarda la scène. La jeune femme se coucha quelques instants dans l’eau, puis elle soupira. Les joues couvertes de larmes qu’on ne pouvait distinguer des gouttes d’eau, elle sortit, remit sa robe et entra dans la maison. En chemin, elle eut la sensation de quelque chose en elle qui prenait naissance. La vie !
Lorsque les hommes penchèrent au-dessus du fossé, ils virent l’étoile d’argent.
Tout le monde était abasourdi, car le prophète, debout sur le rocher, avait proclamé : « Entre les omoplates d’une femme est cachée une étoile d’argent. Celui qui la libère, libère le monde ».
Dès lors, plus aucune femme n’osa sortir de chez elle. Et les hommes ne tombèrent plus amoureux. Tout le monde avait peur et personne ne pouvait savoir à quoi pensait l’autre. Cela dura longtemps, jusqu’à ce que l’éclipse de soleil fit sa première victime. Une pauvre femme, voulant observer la disparition du soleil, profita de la nuit pour sortir de chez elle, mais aussitôt un homme se précipita sur elle et la prit par les cheveux. Ensuite, les autres la conduisirent sans la moindre hésitation vers le lieu du sacrifice. Le bourreau, avec sa hache, brisa le dos de la jeune femme en deux, mais il n’y eut ni étoile, ni sang. Seule une goutte d’eau tomba dans le pot de bronze sur lequel tout le monde se pencha pour voir. Le prophète s’écria : « Il y a encore des milliers de femmes ; sans doute l’étoile est-elle cachée entre les omoplates de l’une d’elles. Cette femme et toutes les autres sont la cause de la sécheresse. Il faut les sacrifier toutes jusqu’à ce qu’on trouve l’étoile afin que les gouttes de pluie retombent à nouveau sur terre. Une fois l’étoile trouvée, nous pourrons cesser de les tuer ». Puis il prit le pot et renversa la goutte d’eau sur le sol. Le sol absorba la goutte, quant au corps de la jeune femme, il resta sur les lieux et servit de nourriture aux vautours.
L’éclipse dura une semaine entière. La sécheresse faisait des ravages. Plusieurs hommes devinrent fous et tuèrent leurs femmes, mais ils ne trouvèrent pas l’étoile. Seules quelques gouttes d’eau coulèrent sur le sol. Les femmes, effrayées, mouraient d’épouvante dans leurs maisons ou se faisaient tuer par leurs frères, maris ou fils.
Les hommes étaient agités, car ils essayaient de moins faire l’amour avec leurs femmes. Puis les étoiles filantes commencèrent à tomber. D’abord deux ou trois, mais peu à peu ce furent plus de 80 à 100 étoiles qui tombaient sur la terre. Ce n’était plus une vie. Les hommes prirent l’ultime décision : il fallait tuer toutes les femmes. Mais un jeune homme s’écria : « Et l’avenir, alors ? Il n’y aura plus de femmes pour enfanter ».
Les vieux réfléchirent et décidèrent de prendre le risque de n’en garder qu’une seule, et choisirent la plus belle. La tuerie commença. Ils creusèrent un grand fossé pour y recueillir les gouttes d’eau. Mais à la fin de la tuerie, le fossé fut à peine rempli à moitié et ils n’avaient toujours pas trouvé l’étoile. Près du rocher, le prophète s’exclama : « Il n’y a plus de doute, l’étoile doit être cachée entre les omoplates de cette femme; il faut la tuer ! ».
Les hommes, furieux, criaient qu’ils ne voulaient plus de sacrifice, car il ne resterait plus de femmes. Le prophète fut tellement excédé qu’il commença à trembler et s’assit au pied du rocher. Puis il ordonna qu’on le soulève et qu’on l’emmène sur le rocher, afin que tout le monde puisse l’entendre. De là-haut, il déclara d’une voix altérée : « Beaucoup de gens se sont détournés de leur prophète et ils sont devenus néant. Vous serez maudits ». Ensuite, toute force le quitta et il tomba à terre. Il demanda qu’on pose une natte à côté du fossé et qu’on le couche dessus. Son temps était venu.
Quelques jours plus tard le prêtre mourait, mais avant de mourir, avec le peu de force qui lui restait, il désigna les grands arbres de l’autre côté de la vallée. Quelques temps plus tard, les hommes prirent leur décision. Le plus beau et le plus vaillant des hommes fut choisi pour coucher avec la jeune femme. La nuit de leur union aucune étoile filante ne tomba et tout le monde trouva que c’était de bon augure. Mais les nuits suivantes les étoiles recommencèrent à tomber. Quarante jours s’écoulèrent, mais la femme n’était toujours pas enceinte. Cette fois, un homme d’âge moyen, qui avait déjà eu deux enfants, fut choisi. Pendant ce temps–là, le cadavre du prophète avait été dévoré par les vautours et il n’en restait que quelques ossements. Plusieurs hommes robustes montaient la garde autour du fossé et des os.
Quarante autres jours passèrent, mais la jeune femme n’était toujours pas enceinte. Il n’y avait plus de doute ; elle était stérile. Certains disaient alors qu’il fallait la tuer afin de se débarrasser de la malédiction du prophète et peut-être même trouver l’étoile, mais d’autres disaient qu’on devait la garder vivante dans l’espoir d’une solution. Et d’autres encore disaient que le prophète, en montrant les arbres au dernier moment, voulait dire par ce geste qu’il fallait s’accoupler avec les arbres. À cet instant, la jeune femme sortit d’une chambre dont toutes les fenêtres étaient cassées et les rideaux de soie déchirés. Elle se fraya un chemin parmi les hommes et se dirigea vers le fossé. Elle enleva sa robe et s’enfonça dans l’eau. Tout le monde resta silencieux et regarda la scène. La jeune femme se coucha quelques instants dans l’eau, puis elle soupira. Les joues couvertes de larmes qu’on ne pouvait distinguer des gouttes d’eau, elle sortit, remit sa robe et entra dans la maison. En chemin, elle eut la sensation de quelque chose en elle qui prenait naissance. La vie !
Lorsque les hommes penchèrent au-dessus du fossé, ils virent l’étoile d’argent.